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Défendre

Le 27 février 2014

Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats d’Alençon a indiqué le 5 février dernier qu’il suspendait les interventions des avocats d’Alençon dans la prison de Condé-sur-Sarthe.

L’AFP a repris l’information : « les avocats d’Alençon ne veulent plus mettre les pieds à la prison de Condé-sur Sarthe », considérant que leur sécurité ne serait pas assurée lors de leurs entretiens avec les personnes détenues.

Des mesures de sécurité supplémentaires sont ainsi demandées et notamment des locaux « adaptés », comme des parloirs qui comprendraient des dispositifs de séparation par hygiaphone...

La maison centrale de Condé-sur-Sarthe a été sous le feu des projecteurs médiatiques depuis la fin de l’année 2013 en raison des nombreux incidents qui s’y sont déroulés. Les syndicats pénitentiaires ont beaucoup communiqué sur ces incidents, la directrice de l’administration pénitentiaire s’y est déplacée le 27 janvier 2014 pour présenter ce qu’elle a appelé « un projet d’établissement » n’emportant cependant que des mesures d’annonce insusceptibles de régler le profond mal-être dont souffrent le personnel pénitentiaire et la population carcérale et dont témoigne le communiqué du Bâtonnier.

Plus de sécurité réclamée par les syndicats des personnels, rien de surprenant.

Mais de la part des premiers défenseurs des droits des détenus…la demande est inédite.

Si la sécurité, tant celle des personnes détenues que des surveillants et des intervenants extérieurs, fait aussi partie des droits attendus, encore faut-il s’entendre sur les moyens d’y parvenir.

Le renforcement des mesures de sécurité exclusivement matérielle, comme celle demandée par l’Ordre d’Alençon par la mise en place des dispositifs de séparation lors des parloirs avocat, consacre l’échec de la politique sécuritaire mise en œuvre depuis plus de dix ans et dont la construction des nouvelles prisons est l’émanation récente la plus spectaculaire.

Idée reçue tenace, la multiplication des mesures de sécurité matérielle pourrait résoudre les problèmes d’insécurité.

Ces mesures se multiplient effectivement, mais les problèmes demeurent et s’aggravent.

L’atomisation des relations sociales au sein des prisons et l’effacement progressif mais continue de l’intimité des personnes détenues décrivent le mouvement de fond de la gestion déshumanisante des établissements pénitentiaires qui s’accompagne d’une surenchère sécuritaire au détriment de tous.

La sécurité intérieure des établissements pénitentiaires est l’ennemi de la sécurité publique, estimait le Professeur Martine Herzog-Evans.

Rien de plus vrai !

Profitant d’une architecture devant être ultrasécurisée, la maison centrale d’Alençon n’échappe pas à la règle selon laquelle la gestion des personnes détenues sous l‘angle exclusif de la sécurité exacerbe les tensions et les pulsions de destruction.

Les commissions de discipline sont organisées, selon le bâtonnier, quasi-quotidiennement à Condé-sur-Sarthe, alors que l’établissement ne compte que 68 personnes détenues, ce qui établirait la moyenne annuelle à plus de 5 procédures disciplinaires par personne incarcérée, un chiffre sans commune mesure avec les autres établissements pénitentiaires de France et seraient le signe d’un phénomène d’explosion d’incidents lorsque sont traités à la marge les souhaits légitimes des personnes détenues de bénéficier d’activités dans le contexte d’un enfermement sans espoir.

Le communiqué du Bâtonnier d’Alençon interpelle en ce qu’il alerte à son tour sur la situation désastreuse des nouvelles prisons ; mais il est contestable en ce qu’au nom des avocats, il demande des mesures de sécurité qui portent directement atteinte aux modalités d’exercice des droits de la défense.

Et il ne répond nullement aux questions qu’il renferme : quelle légitimité dans l’enfermement de personnes présentant des troubles psychiatriques ? Comment des hommes condamnés à de très longues peines peuvent-ils être enfermés dans un établissement dans lequel si peu d’activités leur sont proposées ? Pourquoi un si grand nombre de comparutions devant l’organe disciplinaire !

Les parloirs avec séparation ont été supprimés pour les familles des personnes détenues depuis trente ans, mais n’ont jamais existé pour les rencontres avec l’avocat.

Dans les autres établissements de France, la question ne s’est jamais posée et aucun Bâtonnier ne l’a jamais envisagée.

Une telle séparation matérielle entre la personne détenue et son défenseur ne saurait être acceptée.

De notre expérience commune, il ressort que tous les détenus, et ceux même étiquetés « fou dangereux » par l’administration pénitentiaire, savent reconnaître leur défenseur, lorsqu’ils en ont un.

Un acte de séparation serait méconnaitre les droits des personnes détenues et, parce qu’il est voulu par le Bâtonnier lui-même, il signifierait que les avocats admettent la violation des droits de celles-ci et ne les reconnaissent plus comme titulaires de ces droits.

Les avocats partagent et cultivent l’idée intempestive selon laquelle un être humain ne doit pas être défini par une qualité aussi incertaine que la dangerosité.

Défendre, c’est accompagner, ce qui implique de se tenir côte-à-côte.

Aujourd’hui, en notre qualité d’avocats intervenant régulièrement dans tous les établissements pénitentiaires de France, dont pour certains d’entre nous à Condé-sur-Sarthe, nous contestons la demande du Bâtonnier des avocats du barreau d’Alençon.

Nous ne pouvons concevoir de rencontrer nos clients dans un parloir sécurisé, derrière un hygiaphone, faisant porter une présomption de dangerosité sur toutes les personnes détenues, alors que des problématiques bien plus larges (conception architecturale d’établissements comme Condé-sur-Sarthe, longueur infinie des peines, personnes présentant des troubles psychiatriques dont la place ne peut être en détention...) devraient se trouver au cœur des préoccupations de tous les avocats et plus largement des citoyens.

Réseau d’Avocats en Droit Pénitentiaire 
Le 15 février 2014

contact : redaction@banpublic.org

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