Julie Gallois: Des jurés populaires bien impopulaires
Article du blog dalloz
Lancée sans crier gare, en novembre 2010, par le président de la République dans le but de « rapprocher les citoyens de la justice », l’idée d’étendre la compétence des jurés populaires fait davantage l’effet d’une bombe dans le monde judiciaire que d’une avancée salvatrice.
Devant être applicable, selon les vœux du chef de l’État, dès l’été 2011, le ministre de la Justice et des Libertés a fait preuve d’une particulière célérité en présentant, en conseil des ministres, un projet de loi le 13 avril 2011 après – heureusement – réalisation d’une étude d’impact. Modifié et adopté par les sénateurs le 19 mai dernier, le projet de loi est actuellement soumis, en première lecture, à l’Assemblée nationale.
Concrètement, que prévoit-il ? Deux citoyens-assesseurs, tirés au sort selon les modalités fixées pour les cours d’assises, siègeront aux côtés des trois magistrats pour former le tribunal correctionnel citoyen (C. pr. pén., art. 10-1 futur) ou la chambre des appels correctionnels (C. pr. pén., art. 510-1). Ces profanes du droit, bien que bénéficiant des rappels essentiels gouvernant le droit pénal par le président (C. pr. pén., art. 486-3 futur), ne se voient toutefois pas confiés l’ensemble du contentieux correctionnel, le législateur ayant préféré cantonner leur compétence à une catégorie de délits jusque-là inconnue : les délits « qui portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population ». Reste à savoir ce que recouvre exactement cette catégorie d’infractions correctionnelles.
Dans l’esprit du législateur, seuls les délits les plus graves portant atteinte à la personne humaine, punis de cinq ans et plus, doivent être entendus, tels que les violences aggravées, les vols avec violence, les agressions sexuelles, l’usurpation d’identité… (C. pr. pén., art. 399-2 futur). De facto, est exclue la majeure partie des « petits délits » et infractions simples contre les biens, punie de moins de cinq ans (ex : le vol, l’abus de confiance) qui, pourtant, porte quotidiennement atteinte à la sécurité et à la tranquillité de la population. De par son intitulé, cette catégorie exclut également de la compétence des jurés populaires les infractions relatives à la criminalité organisée et les délits économiques et financiers. Si au regard de la complexité de ces infractions, leur mise à l’écart se justifie pleinement, il est vrai que l’on peut légitimement penser que la délinquance en col blanc aurait peu apprécié d’être jugée par ses salariés ou ses électeurs, souvent peu cléments à son égard.
De prime abord, cette différence de composition de jugement variant selon le degré de gravité ou de complexité de l’infraction interpelle sachant qu’il s’agit de la même classification. En réalité, le législateur dispose de toute la compétence pour « prévoir des règles de procédure pénale différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent […] à la condition que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales» (Cons. const., 3 sept. 1986). Reste à savoir si les Sages de le rue Montpensier considéreront ces conditions remplies lors d’un éventuel contrôle de constitutionnalité.
La matière délictuelle n’est pas la seule juridiction concernée par la réforme, le gouvernement ayant profité de cette dernière pour y inclure le contentieux de l’application des peines tant décrié ces dernières semaines à la suite de la tragique affaire de Pornic.
Aussi, selon les estimations, plus de 40 000 décisions pénales devraient être rendues annuellement par des citoyens. Soit beaucoup trop au goût de certains, le risque évident étant de banaliser la fonction même de juger, en imposant « à tous les niveaux » une justice rendue à la fois au nom et par le peuple français.
Que ce soit les magistrats, les avocats, les politiques ou encore les citoyens en demande pourtant, selon les propos du garde des Sceaux, d’« une vraie justice », tous dénoncent la dernière « lubie » présidentielle, tant son ineffectivité, son incohérence et son inopportunité participent à son rejet.
Ineffective d’abord puisque les citoyens-assesseurs n’auront, d’une part, qu’un poids relatif dans la décision rendue. En effet, n’étant pas des professionnels du droit, il est fort à parier que la majeure partie de ceux-ci se laissera influencer par les magistrats qui, en plus d’être accoutumés de ces contentieux, seront majoritaires dans la prise de décision (trois contre deux). La donne n’est donc clairement pas la même qu’en matière criminelle où les jurés populaires gardent la maîtrise de la décision, que ce soit en première instance (neuf contre trois) ou en appel (douze contre quinze). Cette minorité imposée par le législateur (C. pr. pén., art. 399-1 futur) au sein des juridictions correctionnelles était toutefois inéluctable, sous peine de contrevenir à la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel, le 20 janvier 2005, selon laquelle les dispositions de l’article 66 de la Constitution imposent une participation minoritaire de magistrats non professionnels à la formation collégiale du tribunal correctionnel. D’autre part, la faible marge de manœuvre laissée à la formation de jugement, et donc aux citoyens-assesseurs, à la suite de l’adoption, le 14 mars 2011, de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure II, conforte l’inefficacité de ces derniers, l’article 37 de cette loi imposant des peines-plancher aux délits de violences volontaires commis même en premier délit.
Incohérente ensuite dans la mesure où l’on ne comprend pas très bien pourquoi le projet de loi prône la réduction des correctionnalisations (ex : le viol correctionnalisé en agression sexuelle par l’omission volontaire de l’acte de pénétration) alors même que les jurés avaient justement pour but d’audiencer ces infractions ! Est-ce par peur qu’ils ne fassent pas abstraction de l’élément muant le délit en crime ? Toujours est-il que cette volonté d’exclure de leur compétence ces infractions n’est ni plus ni moins que l’aveu manifeste du gouvernement quant à la difficulté de juger, tant cette tâche ne s’improvise pas.
Inopportune, enfin, puisque, comme toute réforme, cette dernière engendrera un coût non négligeable, entre la nécessaire augmentation du nombre des magistrats, la modernisation des salles d’audience et la rémunération des citoyens estimée entre 108 à 180 euros par jour d’audience. Évaluée à un coût total de 120 millions d’euros, cette réforme paraît bien malvenue à l’heure où les avocats se mobilisent pour obtenir une rémunération suffisante au titre de l’assistance en garde à vue.
Bien que la réforme parte d’un objectif louable, ces trois « i » témoignent de la « démagogie » l’entourant. Deux constats abondent en ce sens. D’une part, elle relaye le citoyen au simple rang de spectateur alors même que le premier rôle dans les fonctions participatives lui avait été ostensiblement attribué. D’autre part, les jurés d’assises, dans le collimateur législatif depuis un certain temps, ont fait l’objet, l’année dernière, d’une proposition de loi réclamant non pas leur extension mais au contraire leur disparition en première instance. Plusieurs raisons à cela : leur coût, l’énergie nécessaire, le temps consacré étendant les délais de jugement mais surtout leur lourdeur contraignant « souvent les juges et les procureurs à contourner ce qui constitue une difficulté, en fait, insurmontable ». Autant de raisons d’étendre – d’abord, à titre expérimental dans le ressort d’au moins deux cours d’appel avant les élections présidentielles, ensuite à l’ensemble du territoire, après ces élections – cette pratique au-delà de la sphère criminelle, faisant ainsi de ces jurés populaires des jurés bien impopulaires.
Notons pour finir qu’en requérant la motivation de ces décisions alors même qu’elles seront rendues par des citoyens, le législateur met directement à mal la jurisprudence de la Cour de cassation (V. not. Crim., 14 oct. 2009) et du Conseil constitutionnel (Cons. const., 1er avr. 2011) refusant d’imposer des décisions d’assises motivées en raison justement de cette spécificité de jugement. Une énigme demeure : pourquoi la Chancellerie, pourtant encline à ce changement permettant du même coup de mettre notre droit interne en conformité avec le droit européen, a décidé d’exclure de l’exigence de motivation des décisions de condamnation les arrêts d’assises (C. pr. pén., art. 353 futur) ? Une incongruité de plus dirons-nous.
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