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Transférés dans les prisons de l'Hexagone, comment vivent les détenus d'Outre-mer ?

Le 24 juillet 2015

A des milliers de kilomètres de chez eux, plusieurs centaines de détenus ultramarins purgent leur peine dans l'Hexagone. "Déportation" pour certains, transfert choisi pour d'autres, leur incarcération en métropole pose le problème du maintien des liens familiaux. Premier volet de notre enquête.

Plusieurs centaines de détenus d'Outre-mer purgent leur peine dans l'Hexagone.

"Moi personnellement, ce que je veux, c'est rentrer dans ma prison en Guadeloupe pour avoir le parloir avec ma famille, voilà quoi." Le message a le mérite d'être clair. Il émane d'un détenu antillais incarcéré dans l'Hexagone depuis 2011. Comme lui, quelques centaines - impossible de connaître leur nombre exact - de Martiniquais, Réunionnais, Calédoniens, etc., purgent leur (longue) peine en métropole, à des milliers de kilomètres de chez eux. Certains par choix, d’autres par "mesures d’ordre et de sécurité". Une fois écroués sur le sol métropolitain, difficile d’envisager un retour en Outre-mer, tant la surpopulation carcérale est forte dans ces territoires.
 
>>> INTERVIEW du Guadeloupéen Fabrice Boromée, détenu en métropole : "J’en ai marre de souffrir ici, mon pays me manque"
 
"C’est un véritable déracinement", analyse François Bès, en charge de l'Outre-mer au sein de l'Observatoire international des prisons (OIP). Eloignement familial, différence de température, problèmes occasionnels de langue, cherté des communications téléphoniques et décalage horaire... "Chaque fois que j'appelle, il fait déjà nuit là-bas", témoigne un détenu calédonien auprès de l'OIP. Ce dernier ne voit jamais sa famille au parloir, et pour cause : "Elle habite à 22.000 kilomètres et n'a pas les moyens." 

A découvrir ci-dessous, des témoignages de détenus ultramarins incarcérés dans l'Hexagone. Leurs réponses proviennent de questionnaires établis et recueillis par l'Observatoire international des prisons entre mars et août 2014 :
 
Inscrit au barreau de Paris, Benoît David s’est toujours intéressé au sort des prisonniers. S’agissant de ces Ultramarins désireux de rentrer chez eux, l’avocat n'hésite pas à parler de "déportation""Je trouve que le terme n’est pas disproportionné, certifie-t-il à La1ère.Même si, juridiquement, la déportation n’existe plus, elle existe matériellement pour ces hommes et ces femmes, dès lors qu’ils subissent une incarcération à des milliers de kilomètres, tout ça parce que la France est défaillante au niveau de ses prisons en Outre-mer."

"L’administration pénitentiaire a l’obligation de favoriser le maintien des liens familiauxrenchérit François Bès, de l'Observatoire international des prisons. Mais en réalité, elle est confrontée à un dilemme : ne pas respecter la dignité des détenus en les laissant dans certains établissements en Outre-mer, ou bien ne pas respecter ce devoir de maintien des liens familiaux." 

Détenus ultramarins dans l'Hexagone 
Le cas emblématique du Réunionnais Casanova Agamemnon Pour les détenus, l’éloignement familial amoindrit parfois les perspectives de réinsertion. En témoigne le cas du Réunionnais Casanova Agamemnon, l'un des plus anciens prisonniers de France. Incarcéré dans l'Hexagone pendant plus de 40 ans, il lui aura fallu 10 ans de demandes répétées pour être transféré sur son île. “Risque de troubles à l’ordre public“, “absence d’établissement adapté à son profil“, autant d’arguments qui ont longtemps été avancés pour bloquer son retour au péi.

Le Réunionnais Casanova Agamemnon a purgé l'essentiel de sa peine dans l'Hexagone.
En parallèle, toutes ses demandes de libération conditionnelle (à laquelle il peut légalement prétendre depuis plus de 20 ans) ont été rejetées, "au motif qu’il fallait d’abordun transfert vers La Réunion pour qu’il puisse construire son projet de sortie là-bas...", déplore son avocat, Me Benoît David, atterré par cette “situation absurde“. Casanova Agamemnon a fini par rejoindre la prison réunionnaise du Port en mars 2014. Il a adressé il y a quelques mois une demande de grâce présidentielle à François Hollande. Il a également introduit une requête contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour atteinte au maintien effectif des liens familiaux, au droit à la réinsertion et au respect de la dignité humaine.

A voir ci-dessous, un extrait des observations du gouvernement devant la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire "Agamemnon c. France"

 

De meilleures conditions de détention dans l'Hexagone Surpopulation, vétusté, absence de formations... Malgré l’engagement du ministère de la Justice dans une "politique d’investissements significatifs visant à l’amélioration et à la modernisation du parc immobilier pénitentiaire en Outre-mer", les prisons ultramarines demeurent pour nombre d'entre elles dans un état calamiteux (c'est le cas dans le Pacifique ou aux Antilles). 
 
S’il existe aujourd’hui en Outre-mer des établissements pour peine, adaptés aux longues condamnations (ce qui, pendant très longtemps, n’a pas été le cas), certains Ultramarins préfèrent encore être emprisonnés en métropole. A la question "pourquoi avoir choisi d'être transféré dans l'Hexagone", ce Kanak répond, lapidaire : "Plus propre. Plus tranquille. Des facilités de formation et de travail". 
 
>>> POUR ALLER PLUS LOIN : Surpopulation, vétusté, le tableau des prisons ultramarines en 2014

"Que les détenus ultramarins demandent eux-mêmes à purger leur peine dans l'Hexagone ? Ça arrive parfois", constate Loetitia Lebrun, directrice du Centre national d'évaluation de Réau (Seine-et-Marne). Sa mission consiste (entre autres) à émettre un avis sur l'affectation des détenus dans tel ou tel établissement (une sorte de "conseillère pénitentiaire d'orientation", en somme). Elle soutient que les Ultramarins sont loin de vouloir rester systématiquement en Outre-mer : "Surtout les plus jeunes. Soit pour couper avec les mauvaises fréquentations, soit pour suivre une formation."

A lire ci-dessous, des paroles de détenus. Ils répondent aux questions de l'Observatoire international des prisons :
 


>>> A LIRE AUSSI : "Le parcours du combattant des détenus longues peines condamnés Outre-mer"


Une liberté de choix "apparente" L'Observatoire international des prisons, lui, fustige ce discours et maintient que cette"liberté de choix n'est en fait qu'apparente""Ce changement d’affectation est généralement accepté, voire demandé par le détenu lui-même, dans l'espoir de voir ses conditions de détention s’améliorer notablement", fait remarquer l'organisme.

Un constat qui rejoint celui de Me Dominique Monget-Sarrail. L’avocate exerce aujourd'hui en région parisienne, mais a longtemps travaillé à Cayenne. "Mes clients de Rémire-Montjoly (l'unique centre pénitentiaire de Guyane, ndlr) étaient très nombreux à réclamer leur transfert. Pas pour le climat ou l'ambiance des prisons de métropole...", précise-t-elle, un brin ironique.  "Mais ils ne supportaient plus la promiscuité, l'absence d'activité et le manque de travail", ajoute celle qui a fait condamner l’Etat à plusieurs reprises pour"dysfonctionnement du service public du fait des conditions de détention désastreuses à Rémire-Montjoly".
 
"Vous savez, poursuit une autre avocate, l’univers carcéral est à l’image de la société. Si le taux de chômage est très élevé dans les départements et les collectivités d’Outre-mer, il l’est encore plus dans les prisons ultramarines. Certains détenus se retrouvent contraints de demander leur transfert en métropole pour pouvoir travailler et commencer à indemniser les parties civiles." 

Des difficultés de transfert dans les deux sens Et pour ajouter une touche de complexité au tableau, certains détenus en Outre-mer ont bien du mal à obtenir leur transfert en métropole, malgré leurs demandes insistantes. "Au centre pénitentiaire de Baie-Mahault, il n'y a pas d'activité ni travail. Je suis menacé tous les jours par les autres détenus. Je vous prie de bien vouloir faire le nécessaire pour accélérer mon départ", réclame ainsi ce détenu guadeloupéen condamné à plus de 20 ans de prison, dans un courrier adressé à l'OIP. A la mi-juin, un prisonnier martiniquais s'est également illustré en manifestant sur le toit de l'établissement de Ducos pour réclamer son transfèrement en métropole. A noter que ces dernières années, les mouvements de prisonniers sont plus importants dans le sens "Outre-mer – métropole" que l’inverse (voir le schéma ci-dessous).

Les détenus ultramarins qui veulent rentrer ont du mal à rentrer. Et ceux qui souhaitent partir ont du mal à partir...








"Depuis quelques mois, je suis sollicité par plusieurs prisonniers aux Antilles et en Guyane,confirme François Bès, en charge de l'Outre-mer à l'OIP. Ils nous demandent de l'aide pour être déplacés dans l'Hexagone. Ils se disent victimes de menaces, de brimades et de violences auxquels ils ne peuvent échapper en raison de la promiscuité et de la surpopulation. Bref, les détenus ultramarins qui veulent rentrer ont du mal à rentrer. Et ceux qui souhaitent partir ont du mal à partir..."

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